7ème arrondissement, 5bis rue de Verneuil.

Serge, peintre et compositeur, est fou amoureux de l’icône de la décennie, initiales B.B. Depuis 1967, ces deux-là s’aiment d’amour tout en continuant à se vouvoyer, même si Brigitte Bardot est mariée au milliardaire Gunther Sachs. Le couple illégitime se retrouve chez elle, avenue Paul Doumer. Lui veut un endroit plus discret. Il a déjà repéré la maison de la rue de Verneuil, il l’emmène la visiter, l’agent immobilier comprend qu’il est face à une situation fantastique et chasse les autres visiteurs d’un « elle est déjà vendue ».

Gainsbourg l’appelait « mon hôtel particulier », même si derrière le mur se cachaient de vieilles écuries. L’appartement est transformé en duplex, le noir y trouve sa place avec classe et mystère. Pendant ce temps, le compositeur crée des chansons pour sa muse, jusqu’au fatal « Je t’aime moi non plus ». Décadent, sensuel, sexuel, le titre fait un scandale lors de son unique passage en radio. Gunther rappelle sa femme à l’ordre, il profite d’un tournage en Andalousie pour la rejoindre et la reconquérir, la belle Bardot demande à Serge de stopper la sortie du disque et rompt avec lui. Les bobines finissent au coffre fort, il promet de ne jamais réenregistrer le titre avec qui que ce soit. Parole qu’il ne tiendra pas : en 1969, Jane prend la place de Brigitte et la chanson renaît. B.B. est triste, mais elle sait que c’est dans l’ordre des choses. Finalement, sa version à elle sortira dans les bacs bien plus tard, en 1986.

La maison ? Lors de la rupture, Serge décide de ne pas l’habiter. Il préfère l’hôtel, une chambre envahie de la présence de Bardot : cartes, portraits… il vit dans son souvenir. Il est encore à l’hôtel lorsqu’il tourne un film avec une jeune anglaise qui ne parle pas un mot de français. Lui espérait tourner ce film, « Slogan » (de Pierre Grimblat) avec Marisa Berenson. Du coup la petite, il la fait morfler, il n’en veut pas. Le tournage tourne au désastre, jusqu’à ce que Pierre Grimblat imagine une ruse pour réconcilier ses deux acteurs. Il leur donne rendez-vous au restaurant, mais lui n’arrivera jamais. Tête à tête forcé entre les deux, Gainsbourg arrête de faire sa tête de chou, il se laisse atteindre par la belle Birkin.

Quand leur histoire devient sérieuse, c’est elle qui propose d’emménager rue de Verneuil. Ils y vivront une dizaine d’années, auront Charlotte ensemble, puis Serge ne saura pas garder sa belle. Elle fuit, il se retrouve seul dans son duplex à la décoration si soignée. Chaque bibelot a sa place, il arrange, peaufine, il aime tellement ce lieu qu’il en fera déjà un musée de son vivant. Puis il déménage définitivement en 1991 en laissant Bambou et Lulu, derniers compagnons de route.

Charlotte Gainsbourg a d’abord voulu ouvrir un musée dans la maison de son père. Elle a commencé par régler les problèmes de paperasses, rachetant les autres parts des ayants-droit (Gainsbourg avait, en-dehors de Charlotte et Lulu, deux autres enfants de son tout premier mariage), frappant aux portes des différents ministres de la culture, Lang, Toubon… En 2001, la mairie de Paris entame sérieusement des démarches. Mais tous les projets tombent à l’eau. Derrière les volets, les meubles, les objets, tout est resté en place, paraît-il. Aujourd’hui, le projet de musée est abandonné. « Mon père appartient déjà tellement à tout le monde », répond Charlotte quand on lui demande pourquoi.

Alors nous, on a la façade. Elle, l’intérieur. C’est dans l’ordre des choses, après tout.